Couturières solidaires : elles cousent des masques « barrières » en tissu

On peut aborder cette crise de mille manières différentes, chacun a sa façon de réagir, de s’organiser, de patienter. L’essentiel est de se dire que c’est inédit pour tout le monde, et qu’il y aura autant de témoignages possibles qu’il y a de personnes à vivre ces instants historiques. Mais nous pouvons aussi nous dire que nous ne sommes pas seuls, quelque part nous sommes tous ensemble, au même moment à vivre la même chose. Cela peut être vécu de façon dramatique, pragmatique, comique … Chacun a sa réponse à cette crise sanitaire. Voici la mienne. 


I/ DES DÉBUTS TIMIDES

Je suis une créative, je crée des vêtements pour enfants, mais rapidement j’ai compris que j’allais avoir bien du mal à continuer de travailler normalement pour mon entreprise, d’une part parce que tous mes points de ventes ont dû fermer, que toutes les expositions prévues ont été annulées, et d’autre part parce qu’avec deux enfants à la maison et des cours de niveaux différents à faire, je n’ai finalement pas autant de temps que je le pensais, et enfin je dois bien le dire c’est un peu compliqué pour moi de rester sur mon nuage créatif en cette période.  

La première semaine fût presque la plus déprimante, car je n’arrivais pas à m’organiser pour finir les cours dans la journée qu’arrivaient déjà ceux de la journée suivante, alors que j’y avais passé un temps fou. Finalement nous avons trouvé l’équilibre et dès la deuxième semaine, nous avions nos repères : le matin cours pour tout le monde, l’après-midi activités libres, jeux, découverte pour les enfants et travail pour maman et papa.

Alors que nous venons tout juste d’être mis en confinement, la France découvre que ses soignants n’ont pas assez de masques. On voit ici et là des articles de journaux circuler sur la toile concernant cette pénurie. 

On pense aussi à toutes les personnes qui doivent continuer de travailler, de s’exposer à ce virus, afin que nous – qui sommes comme pris en otage chez nous – puissions continuer de vivre, de faire nos courses, bref d’avoir un semblant de vie. 

Après les premiers débats sur la maladie – est-ce une pandémie ou une simple grippe ? Et toutes les questions qui s’en suivent – on voit un autre débat s’installer dans les groupes de couturières à  propos des masques, de leur utilité ou plutôt de leur inutilité, de la façon de les faire. Très rapidement, le CHU de Grenoble fait circuler un patron de masque, et des instructions pour en fabriquer. Certains disent qu’il faut les coudre dans du coton, d’autres disent uniquement du polyester. Je n’ai quasiment pas de Polyester. Alors j’hésite, car s’il y a bien une chose dont on n’a pas besoin en ce moment ce sont des efforts vains, des masques qui ne conviendraient pas … je tâtonne, je me sens inutile dans ce grand marasme général. Je ne panique pas, j’aimerais juste aider, en faisant du mieux possible. Je crois que dans ces moments, le cœur prime sur tout le reste. 

Alors ces masques ? Oui il y a pénurie. Oui, les masques en tissus ont leurs limites, et ne remplacent pas les masques FFP2. Mais ils nous permettent de ne pas le transmettre le virus et dans une certaine mesure nous protège. D’où leur nom de « masques barrières ».

Infographie Le Parisien


Il y a une façon de les mettre, de les utiliser, et surtout de les retirer et de les laver. C’est extrêmement important de respecter les règles d’utilisation, mais cela ne garantit en rien une protection totale, c’est primordial d’en être conscient.

Une amie créatrice, ancienne journaliste, fait passer un mot sur son profil Facebook : le personnel hospitalier fait un appel aux dons de masques jetables. Elle a pris contact avec le CHU de Clermont-Ferrand. Elle leur porte ce vendredi 20 mars, environ 80 masques qu’elle a dans son atelier. Je lui demande si le CHU serait intéressé par ces fameux masques en tissus. Elle me répond « essayons ». Alors je me lance, je trouve du polyester, et je fais 2 masques : 1 tout coton, 1 tout polyester. Elle passe les récupérer sur mon portail. Pas de contact entre nous bien sûr. Je n’ai pas eu de réponses du CHU, j’en ai déduit que les masques ne pouvaient leur convenir, ou qu’ils en avaient enfin reçu. 

II/ ASSOCIATION DE COUTURIÈRES

Entre temps, l’association musicale dont fait partie Alice, ma fille aînée, envoie un mail pour prendre des nouvelles des uns et des autres. Je réponds que nous allons bien, et que je fais des essais de masques. Et alors un grand élan de solidarité se met en route : les couturières amatrices qui sont dans l’association me contactent pour me demander « Et nous ? Que pouvons-nous faire ? As-tu un modèle ? Quels tissus puis-je utiliser ? ». En somme, toutes les questions que je me suis posées, et j’avais quelques réponses.

Nous nous sommes organisées. Nous avons contacté les commerçants autour de chez nous. Certains n’avaient pas de masques. Nous nous sommes répartis le travail. Il fallait 51 masques pour le supermarché, 270 masques pour les aides à domicile, 4 par ici, 8 par-là, sur le modèle fourni par le CHU de Grenoble. 

Le plus compliqué est de trouver de l’élastique, car bien sûr personne n’a pu anticiper cette situation de confinement, nous n’avions pas fait de stock, et tous les magasins sont fermés. De plus quand on commande, il faut parfois 10 jours pour recevoir enfin l’élastique.

On s’organise donc pour en trouver : un appel à la propriétaire de la boutique de vêtements et mercerie du village. Peut-elle nous avoir de l’élastique ? Un appel à la tapissière décoratrice du village. Veut-elle nous aider ? La mairie peut-elle mettre une annonce sur le site afin de récupérer des élastiques qui traineraient dans les tiroirs de nos voisins ? Tout le monde a joué le jeu en répondant présent ! 

Des livraisons de masques jetables ont lieu à la superette que nous avons fournis et pour les aides-soignantes de la part de la Région, nous avons donc récupéré nos masques afin de les distribuer à d’autres après les avoir lavés bien entendu.

L’hygiène est d’une importance capitale, car le but est d’aider et non de propager la maladie. Désinfection des machines à coudre, de la table de coupe, des ciseaux, lavage de nos mains, de nos masques une fois finis, sont de rigueur. Et pour plus de sécurité, nous avons aussi demandé aux personnes qui recevaient les masques de les laver à leur tour avant utilisation. 

III/ LE GRAND DÉBAT

Le 24 mars, une amie me fait parvenir un article du journal La Montagne. Une entreprise dans l’Allier se propose de fournir tout le matériel afin de coudre une cinquantaine de masques. Ils ont la matière première mais pas assez de petites mains pour coudre. Je me suis inscrite dès l’ouverture de leur serveur jesoutiensmaregion.com . Puis j’ai transmis l’information sur tous les groupes de couturières que je fréquente. Beaucoup de couturières se sont inscrites, à tel point qu’il y avait la première semaine 1800 colis en attente. [A ce jour je n’ai pas encore reçu mon colis, j’espère toujours qu’il arrivera, mais d’autres amies couturières qui sont inscrites après moi ont déjà reçu le leur.]

Et voilà qu’un nouveau débat enflamme les groupes Facebook de couturières : après avoir annoncé que l’entreprise offrait la matière première, elle a indiqué sur le site qu’une partie des masques serait offerte aux personnels soignants et le reste vendu à prix coûtant. Après leur utilité, après la façon de les faire, peut-on les commercialiser ?

C’est à chacun de faire selon son cœur et ses moyens. On ne peut pas juger. Chaque situation est différente et surtout on ne peut pas imposer à toutes les couturières de fabriquer bénévolement des masques en tissus en quantité et sur la durée. Certaines couturières ont choisi de coudre gratuitement tous leurs masques. D’autres offrent des masques au personnel soignant et en vendent aux particuliers. Et d’autres commercialisent tous les masques en tissu qu’elles produisent. Dans chaque de ces trois situations, le choix de la couturière est légitime.

Jeudi 2 avril lors d’une émission spéciale sur TF1, le premier ministre a abordé le sujet de « l’après » ou déconfinement. Il parait désormais évident qu’on va nous demander de porter des masques pour éviter une seconde vague épidémique d’ampleur. Nous sommes 67 millions. Même si des usines comme Michelin se sont mises à fabriquer des masques en masse – environ 400 000 par semaine – cela va prendre du temps de pouvoir équiper tout le monde. D’autant que, rappelons-le un masque c’est 4 heures d’utilisation maximale. Donc 1 personne qui travaille a besoin de 3 masques par jour (je compte les temps de pause, trajet etc). Rappelons aussi que les infirmières et autres personnels soignants n’ont que 2 masques par jour fournis. A cela s’ajoute une autre question, celle de l’écologie. Les masques jetables sont-ils biodégrables ? C’est un autre débat mais il n’est pas moins important.

Maintenant que les commerçants de mon secteur semblent tous équipés, par mes copines couturières et moi-même ou par leur direction respective, j’ai envie de continuer d’aider. Mes moyens sont limités, et après avoir offert une centaine de masques pour les professionnels, j’aimerais proposer de confectionner des masques pour les particuliers. J’ai longuement hésité car sur les groupes de couturières ou de créatives que je fréquente, la question s’est posée plus d’une fois, et les critiques ont été virulentes envers celles qui vendaient les masques. Tout d’abord peut-on faire commerce de masque ? Une amie couturière, professionnelle également, me fit remarquer que tout travail mérite salaire. Tout simplement. Les usines qui en fabriquent les vendent, les pharmacies en vendent. On nous vend également le gel hydroalcoolique. Rien ne nous est offert. Donc pourquoi ne serait-il pas possible de vendre un masque en tant que couturière professionnelle ? Pourquoi la petite entreprise qui – il faut le dire – a bien du mal à survivre en ce moment du fait du confinement et de la fermeture des boutiques et autres marchés/expo ne pourrait pas se générer un minimum de revenus par la fabrication de ces masques en tissus et devrait les donner ? Ne serait-ce pas là justement faire appel à la solidarité dans les deux sens ?  Une sorte de gagnant-gagnant. On fournit des masques alternatifs aux particuliers qui en ont fortement besoin du fait de la pénurie et en contrepartie on est rémunéré pour notre travail de couturière.
Après cette première question, vient celle du prix. Quel prix pratiquer ? Bien sûr quand on voit un masque en tissu à 40€, on peut se dire que ce prix n’est pas très raisonnable, surtout qu’il faut au moins 2 masques par personne afin de pouvoir en laver un quand on porte l’autre (si on travaille, si on est en confinement un masque suffit). Qu’en est-il du masque à 2€. Et bien là c’est le souci inverse. Comment une couturière peut-elle se payer en faisant un tarif si bas ? 

Des mairies sont à la recherche de couturières pour produire des masques. Certaines se plaignent du coût d’un masque qu’elles voudraient à 2€, voire moins, alors qu’une couturière leur propose à 4 ou 5€. Soyons clairs, à 4 ou 5€ une couturière ne fait pas de bénéfice sur un masque en tissus.

Chacun est libre de fixer ses prix. Ce qui me semble le plus juste c’est que chacun participe à l’effort de guerre, les uns en baissant leur marge, les autres en acceptant que tout n’est pas un dû, et qu’un masque en tissus, réutilisable, ne peut pas être au prix d’un masque en papier jetable.

IV / COMMENT RÉALISER VOTRE MASQUE EN TISSU

1/ Le modèle AFNOR
L’AFNOR a publié un PDF de 36 pages sur la fabrication d’un masque en tissu selon des normes précises
Ce PDF répond à de nombreuses questions que se posaient les couturières.
J’ai réalisé le masque à plis proposé, et je dois avouer que j’ai une préférence pour le tuto du CHU de Grenoble surtout pour les enfants. J’ai pu noter quelques différences. Mais, il faut d’abord que rappeler que l’AFNOR a indiqué ce document est un premier jet et qu’ils continuent à faire des tests pour améliorer le modèle.
En effet dans le document l’AFNOR ne précise pas combien de couches de tissus doit comporter le masque. Il est dit « monocouche » ou « composite multicouches » quand le modèle du CHU Grenoble demandait 2 couches de tissus plus une couche de molleton intermédiaire. Ensuite, ce masque une fois mis « baille » au niveau du nez, et aux oreilles. Il n’est proposé que dans une taille, contrairement au CHU Grenoble qui propose 4 tailles (hommes, femmes/ado, enfants 7-12 ans, enfant 3-6 ans).

2/ Le modèle du CHU de Grenoble
Vous pouvez télécharger leur tutoriel de masques en tissu ici.
Le tutoriel est très fonctionnel. Son seul inconvénient est la couture verticale sur le nez et la bouche. Son gros avantage est qu’il tient beaucoup mieux sur le visage des enfants. Il a aussi l’avantage d’être proposé en 4 tailles.

3/ Les attaches
J’avais des a priori sur les liens en tissus, et après essais, je dois dire que le masque tient bien en place, et surtout cela permet de le laver à 60° comme cela est préconisé. Par contre, je vous déconseille d’utiliser le biais pour des masques enfants, ils ne sauront pas faire les nœuds d’attaches à l’arrière de leur tête tout seul. 
Enfin l’utilisation d’élastique trop épais rend le port du masque derrière les oreilles douloureux et inconfortable. Il faut penser que vous devez le garder 4 h d’affilées si vous travaillez. 
L’autre avantage du biais c’est qu’il permet de poursuivre la fabrication de masques en tissus malgré la pénurie d’élastique. En effet, depuis le 6 avril, sur de nombreux sites de fournitures il est devenu impossible d’acheter de l’élastique. Les usines qui le fabriquent ont été réquisitionnées par l’Etat.

Voilà ce qu’il en est de mon expérience face à la pénurie de masques. Il existe tant d’autres personnes et tant d’autres témoignages. Chacun vit cela à sa façon et donne selon ses possibilités.  

Je voudrais partager avec vous le message d’une de mes camarades couturières, je pense qu’il s’adresse à nous toutes couturières, du dimanche, amatrices confirmées ou professionnelles. Ce message m’a redonné du courage car parfois mes doutes m’ont assailli, j’espère qu’il vous donnera du courage à toutes. Je suis fière d’être couturière, je suis fière de nous toutes.

« Je ne suis qu’une petite couturière du dimanche. Je n’ai fait qu’une vingtaine de masques pour vous aider. Je viens d’en faire pour mon entourage mais comme tout le monde je n’ai plus d’élastique. Je ne vous connais pas pour la plupart mais, moi, je suis en admiration pour tout ce que vous faites. Pour votre gentillesse, votre dévouement, votre sérieux. Certes Il y’ a des soucis d’élastique, de forme etc.… mais je crois qu’il n’y a pas de réponse précise.
Vous pouvez être fières de vous, vous méritez aussi un applaudissement.
 »

© photos masques : Gwen Belaubre

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Commentaires (6)

    bonjour madame
    pourriez-vous me dire où vous avez trouvé votre modèle de masque puisque vous semblez déconseiller celui de l »AFNOR ? avant de me lancer pour équiper ma petite famille et mes amis , je préfèrerais les faire dans les règles de l’art. merci beaucoup pour votre réponse

    Bonjour ! Oh comme votre article me fait du bien !! Je suis une ancienne styliste et, dans mon coin, dans mon village de la Drôme, avec tous les tissus de « rebracks » que j’ai accumulé, je me suis lancée !! J’ai commencé s comme vous par le modèle du CHU de Grenoble, 3 couches, puis maintenant à celui qui est plissé, normes AFNOR ( ?? ) et j’en suis à 350 environ, que je dépose surtout à la pharmacie, que je donne autour de moi,…
    et, comme beaucoup, aujourd’hui que l’on nous annonce que tout le monde, hors soignants, doit en porter, dont les enfants, pour rentrer dans mes frais, dois-je les vendre ? Grave question !
    Par contre, puisque je suis encore totalement en mode « solidaire » je vous donne mon astuce pour « faire des élastiques » : découper du lycra (tissu de maillot de bain ) en lanière, attention au sens, mais ça marche très bien ! Sinon, en dernier recours, pour les enfants en particulier, on découpe, en lanières toujours, des gants de vaisselle ! Ça, ça tient super derrière les oreilles ! Et c’est très facile à trouver ! Et vive les couleurs flashy !!
    Autre astuce, pour faire la « pince à nez » je tournicote du fil de fer plastifié-rayon jardinerie – en 3 et je le glisse entre deux coutures avec point d’arret de chaque côté !
    Enfin si ça intéresse quelqu’un, j’ai « amélioré » le modèle de Grenoble en modèle homme plus large et un modèle femme plus …sexy !
    Je vous embrasse toutes, mes sœurs de couture !! Manuela

    Bonjour. Je vous remercie pour les astuces. Et oui, il nous faut être créatives car les élastiques sont difficiles à trouver parfois. Je me suis posée cette question – doit-on vendre – presque à m’en rendre malade. J’ai tenté par cet article d’apporter quelques réponses, afin que chacun(e) puisse décider sans se sentir jugée car il y a un réel besoin de masques aujourd’hui. Je vous embrasse aussi Manuela, et vous souhaite bon courage pour la suite.

    Bonjour. Je suis perdue avec le choix des tissus…est-ce qu’un masque à plis peut-être réalisé avec 3 couches de coton « ordinaire » ?

    Bonjour « Seguron ». Je ne déconseille pas le masque AFNOR, il est très bien et surtout il est en constante amélioration car AFNOR poursuit ses tests. Si vous avez des petits enfants il vous faudra réduire les dimensions, car le masque est destiné aux adultes, sinon vous pouvez faire le masque du CHU de Grenoble qui propose des tailles enfants. Et pour enfants je vous conseille les élastiques, et pas de biais, trop compliqué à nouer pour de jeunes enfants. Si vous avez d’autres questions n’hésitez pas. Prenez soin de vous.

    Bonjour Catherine. 3 couches de coton c’est ce que recommande idéalement AFNOR. Si votre coton est épais, cela pourrait néanmoins être assez difficile de le coudre surtout pour la coulisse de l’élastique (avec les couches de plis ça fait 9 couches à cet endroit). Pour vérifier que votre coton n’est pas trop fin, mettez le devant la fenêtre, il ne faut pas qu’il soit transparent. Bonne couture. Cordialement.

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